La ville de Montréal brille,
surprend et dérange tout à la fois par le tableau coloré qu’elle offre aux
visiteurs. Une plongée au cœur de ce multiculturalisme affiché et revendiqué
renvoie aux Européens un effet miroir dérangeant. Parmi d’autres aspects, la sérénité
du discours politique et social autour des immigrants détonne avec la violence
qui se déchaine en Europe. Tout n’est pas rose pour la population du Québec,
encore moins pour les immigrants. Mais le discours politique sur l’immigration
est raisonnable. La venue et la
présence d’immigrants sont traitées comme des questions politiques normales, au
même titre que toutes les questions de société. La preuve la plus
fragrante : au Québec, il n’existe pas de parti politique de droite ou
d’extrême droite de taille pertinente basant son programme sur la dénonciation
du problème de l’immigration. L’UDC
et les moutons noirs ? Sarkozy faisant du pied à Marine sur l’identité
nationale ? Cameron proposant un xème tour de vis ? Pas de ça au
Québec.
J’ai interrogé toutes les
personnes rencontrées, du coiffeur au voisin de bar en passant par la chercheuse
universitaire : comment expliquer ce discours pacifié sur l’immigration ?
Plusieurs éléments de réponses ont été récurrents : le rapport très
identitaire à l’immigration de tous les habitants du Québec (à l’exception des
peuples autochtones, tous sont des
immigrants), le rapport aux immenses espaces, l’esprit de découverte propre à
l’Amérique du Nord. Mais la partie essentielle de la réponse se trouve
certainement dans la reconnaissance de l’apport bénéfique de l’immigration. Pas
besoin de verser dans un multiculturalisme naïf pour reconnaître la valeur
économique, culturelle et sociale inestimable des migrants, ainsi que les
avantages, par essence non-mesurables, d’une plus grande diversité au sein
d’une société. L’ensemble des forces politiques du Québec répètent ainsi depuis
30 ans le même message : l’immigration est essentielle pour nous, elle est
dans notre intérêt et nous remercions les immigrants pour leurs apports. De
plus, nous sommes fiers de notre tradition humanitaire d’aide aux réfugiés.
C’est la vraie leçon
québécoise : l’inéluctable ne l’est qu’en apparence. En Suisse et en
Europe, il n’apparaît plus possible de penser le discours politique sans le
« problème » de l’immigration : les deux seraient comme
consubstantiels. Mais le Québec nous montre que le prétendu
« inéluctable » renvoie au fond à la responsabilité des acteurs politiques.
L’appel sonne clair : les partis politiques défenseurs de l’idée d’une
société ouverte et responsable ont les moyens de pacifier le débat sur l’immigration.
Pour cela, il ne s’agit pas de reconnaître la valeur de cette immigration du
bout des lèvres comme étant « nécessaire à l’économie », mais de la
reconnaître franchement et ouvertement : sans les immigrants, notre
prospérité économique et culturelle serait impossible.
A court terme, cela décevra
certains électeurs attirés par les sirènes des partis faisant leur beurre de
cette dénonciation perpétuelle. Mais les autres formations ne devraient pas
faire de faux calculs. A terme, le bloc majoritaire se reconnaissant autour d’une
Suisse ouverte et responsable sera à même d’imposer une pacification des
discussions politiques sur l’immigration. Notre rapport à l’Autre sera alors
traité comme une question politique normal. En politique comme dans la
rencontre avec cet Autre, le premier pas pourrait être le plus dur.
Johan Rochel
www.chroniques.ch
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