lundi 7 mai 2012

Le Québec et ses immigrants – leçon de responsabilité pour le politique


La ville de Montréal brille, surprend et dérange tout à la fois par le tableau coloré qu’elle offre aux visiteurs. Une plongée au cœur de ce multiculturalisme affiché et revendiqué renvoie aux Européens un effet miroir dérangeant. Parmi d’autres aspects, la sérénité du discours politique et social autour des immigrants détonne avec la violence qui se déchaine en Europe. Tout n’est pas rose pour la population du Québec, encore moins pour les immigrants. Mais le discours politique sur l’immigration est raisonnable. La venue et la présence d’immigrants sont traitées comme des questions politiques normales, au même titre que toutes les questions de société. La preuve la plus fragrante : au Québec, il n’existe pas de parti politique de droite ou d’extrême droite de taille pertinente basant son programme sur la dénonciation du problème de l’immigration. L’UDC et les moutons noirs ? Sarkozy faisant du pied à Marine sur l’identité nationale ? Cameron proposant un xème tour de vis ? Pas de ça au Québec. 

J’ai interrogé toutes les personnes rencontrées, du coiffeur au voisin de bar en passant par la chercheuse universitaire : comment expliquer ce discours pacifié sur l’immigration ? Plusieurs éléments de réponses ont été récurrents : le rapport très identitaire à l’immigration de tous les habitants du Québec (à l’exception des peuples autochtones, tous sont des immigrants), le rapport aux immenses espaces, l’esprit de découverte propre à l’Amérique du Nord. Mais la partie essentielle de la réponse se trouve certainement dans la reconnaissance de l’apport bénéfique de l’immigration. Pas besoin de verser dans un multiculturalisme naïf pour reconnaître la valeur économique, culturelle et sociale inestimable des migrants, ainsi que les avantages, par essence non-mesurables, d’une plus grande diversité au sein d’une société. L’ensemble des forces politiques du Québec répètent ainsi depuis 30 ans le même message : l’immigration est essentielle pour nous, elle est dans notre intérêt et nous remercions les immigrants pour leurs apports. De plus, nous sommes fiers de notre tradition humanitaire d’aide aux réfugiés.

C’est la vraie leçon québécoise : l’inéluctable ne l’est qu’en apparence. En Suisse et en Europe, il n’apparaît plus possible de penser le discours politique sans le « problème » de l’immigration : les deux seraient comme consubstantiels. Mais le Québec nous montre que le prétendu « inéluctable » renvoie au fond à la responsabilité des acteurs politiques. L’appel sonne clair : les partis politiques défenseurs de l’idée d’une société ouverte et responsable ont les moyens de pacifier le débat sur l’immigration. Pour cela, il ne s’agit pas de reconnaître la valeur de cette immigration du bout des lèvres comme étant « nécessaire à l’économie », mais de la reconnaître franchement et ouvertement : sans les immigrants, notre prospérité économique et culturelle serait impossible. 

A court terme, cela décevra certains électeurs attirés par les sirènes des partis faisant leur beurre de cette dénonciation perpétuelle. Mais les autres formations ne devraient pas faire de faux calculs. A terme, le bloc majoritaire se reconnaissant autour d’une Suisse ouverte et responsable sera à même d’imposer une pacification des discussions politiques sur l’immigration. Notre rapport à l’Autre sera alors traité comme une question politique normal. En politique comme dans la rencontre avec cet Autre, le premier pas pourrait être le plus dur.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

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